Monde 09/12/2022
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Eau

"Mettons-nous d'accord pour gérer cette ressource commune"

S'il y a bien une question majeure au XXIe siècle, c'est celle de l'eau, selon Erik Orsenna de l'Académie française. Comment sensibiliser les populations aux problématiques de l'eau et quelles solutions mettre en œuvre pour la préserver ?

Erik Orsenna : "Dire, de façon globale, que l'agriculture consomme trop d'eau n'a pas de sens. Tout dépend du type d'agriculture et à quel endroit cette dernière se pratique."

© Crédit photo : FG

En quoi l'eau est-elle une question cruciale pour nos sociétés ?

Erik Orsenna : "L'eau est la première des matières premières. En tant qu'être humain, nous sommes constitués à 70, voire 75 % d'eau, et tous les êtres vivants ont besoin d'eau pour vivre. Donc, c'est absolument clé d'avoir de l'eau à disposition, sinon, autrement, c'est la mort. Il y a une autre raison. Comme le disait Pasteur, nous buvons 80 % de nos maladies. Donc, l'eau, c'est à la fois la vie, mais aussi une menace de mort."

Comment, justement, éviter les conflits autour de l'usage de l'eau ?

E.O. : "Il faut faire preuve de sagesse. Malheureusement, on ne peut pas dire que le monde avance en ce sens. En tout cas, il faut développer une diplomatie à l'échelle des bassins. Il faut prendre les fleuves dans leur entier, c'est-à-dire les fleuves avec leurs confluents, pour faire de"l'hydro-diplomatie", afin de les préserver, soit répartir l'eau entre les pays qui partagent le même parcours d'un fleuve avec ses affluents. En d'autres termes, mettons-nous d'accord pour gérer cette ressource commune. Mais, on voit bien aujourd'hui que l'on est plutôt sur le chacun pour soi que sur la collaboration. Ainsi en est-il, par exemple, par rapport aux débats violents qui éclatent autour du Nil. Rien n'est évident."

Existe-t-il cependant des territoires où cette "hydro-diplomatie" s'exerce ?

E.O. : "Il n'y a pas beaucoup d'exemples, mais il y en a un. Pour ce qui est des fleuves européens, cela se passe plutôt bien. Ainsi, nous, nous nous entendons très bien avec les Suisses sur le Rhône. Il en est de même autour du Rhin et du Danube. Il y a un autre exemple, en Afrique, avec l'organisation de mise en valeur de la vallée du Sénégal. La Guinée, la Mauritanie, le Sénégal et le Mali se sont mis d'accord. C'est très frappant, car même lorsqu'il y a des tensions très vives entre la Mauritanie et le Sénégal, ils arrivent à s'entendre grâce à l'eau. Le dialogue est maintenu pour préserver ce patrimoine commun qu'est l'eau. C'est la raison pour laquelle nous sommes quelques-uns à vouloir que cette organisation reçoive le prix Nobel de la paix."

Dans le Tour de France des solutions que vous avez entrepris autour de la problématique de l'eau, quelles sont celles qui peuvent permettre de préserver la ressource en eau ?

E.O. : "Il faut évidemment économiser l'eau. C'est d'abord l'agriculture, mais aussi nous tous qui devons nous y mettre, au lieu de la gaspiller comme on le fait. Économiser l'eau, cela veut aussi dire lutter contre les fuites. Dans certaines régions, elles peuvent atteindre 30 à 40 %, car on n'a pas assez réhabilité les réseaux. Il n'y a pas une seule solution, mais toute une suite de solutions à mettre en œuvre.

"Il n'y a pas une seule solution, mais toute une suite de solutions à mettre en œuvre."

Ensuite, il faut retenir l'eau, mais cela dépend des régions. Pour ma part, je suis très opposé à deux types de religion. La première qui dit l'eau est à moi, j'en fais ce que je veux, et l'autre qui dit qu'il faut laisser l'eau couler. Mais si l'eau coule dans un sol où il n'y a pas de nappes phréatiques et qu'elle part directement à la mer, c'est complètement idiot de ne pas la retenir.

L'autre solution à développer est le recyclage de l'eau. Mais, sur ce point, nous sommes très en retard par rapport, par exemple, à Israël ou Singapour où ils recyclent bien plus. L'un des freins, il faut le préciser, c'est que nous avons des règles très restrictives empêchant d'utiliser les eaux usées pour arroser des plantations, alors qu'on importe, par exemple, des tomates d'Espagne qui ne sont pas soumises à la même réglementation. Dans tous les cas, la gestion de l'eau doit être efficace. Chacun doit y mettre du sien, y compris les agriculteurs, sans pour autant les accabler, car ils n'arrêtent pas de s'adapter avec des contraintes de prix toujours plus fortes. Enfin, pour agir collectivement, il faut respecter deux choses : le long terme et la bonne échelle territoriale. Or, la bonne échelle territoriale pour la gestion de l'eau, c'est la région."

À présent que vous évoquez les agriculteurs, considérez-vous qu'ils utilisent beaucoup trop d'eau dans leurs pratiques et qu'ils doivent impérativement revoir ces dernières ?

E.O. : "Dire, de façon globale, que l'agriculture consomme trop d'eau, n'a pas de sens. Tout dépend du type d'agriculture et à quel endroit cette dernière se pratique. Ainsi, par exemple, sur la question des bassines, je suis ni pour ni contre. Tout dépend des endroits. Si vous prenez de l'eau en privant des réseaux souterrains, ce sera une solution à très court terme. Mais quand vous êtes dans un endroit géologique où l'eau, de toute façon, si elle n'est pas retenue ira directement à la mer, à quoi cela sert-il de ne rien faire ? Cela n'a pas de sens. C'est pour cela qu'il faut savoir écouter la géographie française, qui se décline par sa diversité, et non pas être dans l'idéologie.

"Sur la question des bassines, je ne suis ni pour ni contre. Tout dépend des endroits."

Dans tous les cas, ce qui est certain, c'est que les modes d'irrigation doivent évidemment progresser, avec le développement du goutte-à-goutte, ainsi que les pratiques. Les recherches agronomiques apportent aussi de nouvelles solutions avec, par exemple, les cépages résistants à la sécheresse pour la viticulture, de nouvelles variétés de riz qui consomment deux à trois fois moins d'eau, et les recherches en cours sur de nouvelles variétés de maïs, autre culture très gourmande en eau. Il faut agir sur tous les leviers pour gérer cette rareté de l'eau au mieux. Si les agriculteurs doivent faire incontestablement évoluer leurs pratiques, tout le monde doit aussi évoluer."

Vous avez coutume de dire que l'eau est un miroir de notre société ? Que dit-elle de la nôtre ?

E.O. : "L'eau dévoile beaucoup de ce que nous sommes. Dites-moi comment vous produisez l'eau, à quel prix et au bénéfice de qui, est-ce privé ou public, etc., et je vous dirai à quelle société nous appartenons. Ce miroir donne à voir une France assez violente, qui ne s'écoute pas, assez incapable de dialogue. Vraiment, la démocratie va être au défi de trouver une solution de partage de cette ressource rare. Autrement dit, la question de l'eau est un vrai défi pour notre démocratie, dont l'un des enjeux qu'elle aura à relever sera justement d'intégrer le temps long sur ce sujet."

"La question de l'eau est un vrai défi pour notre démocratie."

Pour finir, pourquoi souhaitez-vous alerter les populations au travers de la défense des fleuves, pour leur faire prendre conscience de tous les enjeux sur cette ressource qui se fera de plus en plus rare ?

E.O. : "L'eau, c'est une matière. C'est donc un petit peu abstrait. Et cela donne l'impression que c'est partout un peu pareil, alors qu'un fleuve ou une rivière sont des personnages vivants qu'on peut adopter, qu'on peut aimer, mais aussi redouter, et donc avec qui on peut avoir des relations. En cela, ce n'est pas abstrait. Puis, quand vous voulez défendre l'eau, tout le monde s'en fout, alors que si vous voulez défendre une rivière ou un fleuve, cela change tout dans la perception des personnes. C'est donc la bonne solution pour sensibiliser les populations à la question de la rareté de l'eau. Il faut, par conséquent, réapprendre à aimer les fleuves et à les respecter. C'est la raison pour laquelle j'ai écrit mon livre,'La Terre a soif. Guerre et paix au royaume des fleuves', qui ressemble, en fait, plutôt à un manifeste pour sauver les fleuves de notre planète, et qui décrit les risques du réchauffement climatique, de la sécheresse, et donc des famines et des guerres." 

Propos recueillis par Florence Guilhem •

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L'avenir de l'eau se jouera dans les fleuves

Pour l'académicien, nul doute, l'avenir de l'eau se jouera dans les fleuves et les rivières. S'il a décidé de reprendre la route, 15 ans après avoir écrit 'L'avenir de l'eau', c'est parce qu'il y a urgence à préserver cette matière, qui peut paraître abstraite, bien qu'elle nous maintienne en vie. Sans eau, pas de vie. "Je me suis dit : je vais raconter l'histoire des fleuves. Et comme j'ai navigué depuis l'enfance, à la fois sur la mer et sur les fleuves, je me suis dit : je vais me promener. Donc, cela a duré au fond une trentaine d'années. J'ai pris toutes mes notes, et j'ai fait le portrait de 33 fleuves : les plus grands, il y a l'Amazone, le Mékong, le Nil, le fleuve Jaune. Et puis le tout petit, chez moi, qui s'appelle le Trieux, 72 km, un peu avant Guingamp et juste en face de Bréhat", raconte-t-il. Une longue "promenade" qui a abouti à son dernier ouvrage 'La Terre a soif. Guerre et paix au royaume des fleuves'.

Si la situation est grave, des solutions existent, selon lui. "Moi, je n'aime pas uniquement alerter sans qu'il y ait des solutions. Parce que si notre planète était nulle, pourquoi se battrait-on pour elle ? Notre planète est absolument merveilleuse. Donc, il faut alerter, parce que c'est fragile. Il va donc falloir apprendre à économiser et faire des différences entre les situations. Pour cela, il faut toujours mêler l'histoire à la géographie", conclut-il.

Florence Guilhem •

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