Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales 17/03/2023
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Vins rosés

Un Languedoc-Roussillon de plus en plus rosé ?

La troisième session 'Vins rosés' du Concours mondial de Bruxelles s'est achevée le 10 mars au Domaine de Manse, siège des Vins Pays d'Oc IGP. L'occasion de faire un zoom sur la production de rosés en Languedoc-Roussillon. Atouts, faiblesses et perspectives

Avec une récolte estimée à plus de 3 millions d'hectolitres, le Languedoc-Roussillon est le premier vignoble rosé de France, et ce, depuis dix ans déjà.

© Crédit photo : Florian Vidot

"Think pink", lance dans un grand éclat de rire Diane Losfelt, la cheffe d'orchestre du Château de l'Engarran, à Lavérune (34). Quand la vigneronne décide de développer sa production de rosés, en 1988, bien avant que les gros "faiseurs" du Languedoc-Roussillon ne se lancent à leur tour, son idée est accueillie fraîchement par sa mère. "Elle m'a dit du tac-au-tac, le rosé, ce n'est pas du vin", se souvient-elle. Si cet avis est encore parfois partagé parmi les vignerons du Languedoc-Roussillon, les attentes du marché ont bel et bien renversé la vapeur, faisant passer les rosés de ce bassin viticole de l'ère de la machine à vapeur à celle du train à grande vitesse en matière de volumes produits.

"Depuis la création du label IGP Pays d'Oc en 1987, nos volumes de rosé ont augmenté ces dix dernières années autour de 32 %, et ont été multipliés par 342 % en vingt ans. Jamais aucune couleur n'avait connu une telle progression chez nous", reconnaît Florence Barthés, directrice générale du Syndicat des producteurs de vin Pays d'Oc. Idem du côté des volumes produits en AOP Languedoc, qui sont passés de 2012 à 2022 de 140 000 hl à 225 000 hl, "ce qui représente presque 25 % de la production AOP, toutes couleurs confondues", précise Olivier Legrand, directeur général du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL), et "54 % des volumes, toutes couleurs confondues, pour l'appellation régionale Languedoc", ajoute Stéphanie Daumas, directrice du Syndicat AOC Languedoc. "C'est beaucoup trop à mon sens. Ce n'est pas ce qu'il fallait faire, même si le Languedoc a une place à prendre dans le monde du rosé, mais il faut savoir le faire", tacle la vigneronne Anne Losfelt.

Et cette progression devrait se poursuivre avec une récolte 2022, pour le vignoble en indications géographiques du Languedoc-Roussillon, estimée à plus de 3 millions d'hectolitres (Mhl), soit près de la moitié de la production française (un peu plus de 7 Mhl), 13 % de la production mondiale (plus de 23 Mhl). Dans le détail, la production fait la part belle aux IGP, avec 88 % des volumes de rosé  -  le plus gros faiseur, loin devant les autres étant l'IGP Pays d'Oc - puis à l'AOC du Languedoc, avec 10 % des volumes, le reste se répartissant entre les IGP et AOP du Roussillon (chiffres 2021, ceux de 2022 n'étant pas encore consolidés, ndlr). Autant de volumes qui font du Languedoc-Roussillon le premier producteur de rosés en France, ainsi qu'en Europe, et qui ne manque pas d'atouts au regard de la palette de son offre.

Une mosaïque de rosés...

Du rosé de gammes au rosé 'piscine', en passant par le rosé 'bobo', les vins du Languedoc se distinguent par l'étendue de leur offre, tant dans leur segmentation que dans leurs couleurs ou encore dans le choix des cépages (plus de 50). Si les trois cépages les plus utilisés pour la conception des rosés dans le Languedoc-Roussillon sont le grenache noir, le cinsault et la syrah, dont les deux premiers généralement assemblés, d'autres cépages peuvent être introduits comme, par exemple, dans les rosés en AOC Languedoc de la cave coopérative de Cabrières (34), L'Estabel, composés de cinsault, grenache, syrah, mourvèdre et carignan. Sans compter l'utilisation dans d'autres rosés de cépages blancs. On serait presque tenté de dire à chacun sa partition. Le tout est de "think pink", pour reprendre l'expression de Diane Losfelt.

Penser rosé, L'Estabel justement, y pense depuis sa création. "Cabrières, c'est le berceau du rosé du Languedoc, avec sa cuvée 'Vermeil', car, historiquement, nous avions beaucoup de cinsault", rappelle le directeur de la cave coopérative, Luc Flache. Et d'entrée de jeu, la cave s'est positionnée sur des vins gastronomiques en AOC Languedoc et AOC Languedoc - Cabrières (95 % des rosés, ndlr), à la couleur assez soutenue, et avec un potentiel de garde. "On a une carte à jouer avec la montée en gamme de nos rosés et un bon rapport qualité-prix. C'est notre stratégie de développement", explique-t-il. Même orientation chez la vigneronne Diane Losfelt, avec "des rosés de terroir en AOC Languedoc, qui ont du goût et restent en bouche, puis quelques"glouglou"en IGP Pays d'Oc. En revanche, j'ai laissé tomber les rosés de saignée, car ils ne se vendent plus", précise-t-elle. L'axe rosé de terroir est celui pris par les AOP languedociennes telles que celles de Saint-Chinian, Faugères, Corbières...

Entre les volumes, la diversité des sols et des vins, ainsi que la qualité potentielle des vins, les atouts ne manquent pas pour faire et vendre du rosé. "On a une palette de rosés immense, du pâle au plus teinté, avec différents segments. Notre autre force est que l'on est le vignoble le plus adaptable à la demande, comme le rosé l'a démontré, et que l'on peut le décliner à l'infini. Cela vient de l'ampleur de notre vignoble et de la diversité des cépages", indique Florence Barthés.

Autre atout, et même une des forces principales de ces rosés, est le rapport qualité-prix. "Le prix moyen d'une bouteille en AOP Languedoc en grande et moyenne distribution est de 6 €. La part des ventes au-dessus de 5 € a augmenté de 60 % entre 2018 et 2022, et représente actuellement 2,2 M de bouteilles, soit 50 % des ventes totales. Quant au segment supérieur à 7 €, il a plus que doublé entre 2018 et 2022, puis augmenté de 25 % entre 2021 et 2022. Il représente aujourd'hui 30 % des ventes de vins rosés des AOP du Languedoc", détaille Olivier Legrand. Quant aux ventes à l'export, "elles ont été multipliées par 2,5 en 10 ans, le premier marché étant les États-Unis, ouvert il est vrai par des marques locomotives", telles que, par exemple, 'Cote des roses' de Gérard Bertrand, qui célèbre l'art de vivre méditerranéen. Mais cette mosaïque des vins à un bon rapport qualité-prix peut se révéler une faiblesse.

... mais une identité difficile à cerner

Face à l'image structurée autour de l'appellation Côtes de Provence, avec des vins vendus au prix fort, la pléthore de références languedociennes, dans un marché actuel qui stagne, peine à dégager une identité languedocienne. Selon le directeur du CIVL, le bât blesse plutôt du côté de "la sous-performance de la marque Languedoc à côté de celle de la Provence qui nourrit tout un imaginaire territorial qu'ils ont su bien mettre en valeur. Mais cette faiblesse-là du Languedoc est loin d'être rédhibitoire". Reste que la clarté du message pour les marchés à l'export, comme pour les consommateurs français, n'est pas suffisante, et que les rosés du Languedoc-Roussillon souffrent encore d'un problème de notoriété, d'après notamment les études faites par le CIVL.

L'autre faiblesse porte sur l'importance des volumes en vrac commercialisés par le négoce, à hauteur de 88 % pour les IGP Pays d'Oc, et de plus de la moitié par l'appellation régionale. En d'autres termes, c'est le négoce qui mène la danse. "Il faut impérativement une meilleure répartition entre le négoce et les producteurs, car beaucoup trop de valeur ajoutée nous échappe", considère Diane Losfelt. En revanche, si l'on considère l'autre face de la médaille, "tous nos volumes en vrac sont contractualisés. Donc, nous ne faisons que les rosés que l'on vend", temporise la directrice du Syndicat IGP Pays d'Oc.

Par ailleurs, si l'export est globalement bien développé, appellations comme IGP considèrent qu'il faut aller bien plus loin. "Il faut travailler plus groupé, notamment avec nos entreprises qui vont à l'export, pour avoir une stratégie collective de marché", estime-t-elle. Mais pour décrocher la "timbale", tout un travail sur l'image spécifique des vins rosés du Languedoc-Roussillon, plus encore sur son identité doit être réalisé, et d'autant dans un marché du vin très compliqué actuellement, même pour les rosés. "On a un esprit Sud différent de celui de la Provence qui peut être tout à fait revendiqué, notamment autour de notre art de vivre méditerranéen", poursuit Florence Barthés.

Les autres marqueurs forts d'identité à mettre en avant sont la créativité, la modernité, l'expression des vins, avec de beaux fruits et une belle fraîcheur, ainsi qu'une belle énergie. "Il ne faut pas se laisser enfermer dans une communication unique, mais il nous faut travailler sur la modernité de nos vins, car elle entre en résonance avec la demande des marchés et une clientèle plus jeune, moins marquée par les codes du vin, ainsi que sur notre capacité à être plus innovants et plus décalés", analyse le directeur du CIVL. Entre le prestige et une créativité renouvelée sans cesse, les acteurs des vins rosés du Languedoc-Roussillon entendent tracer leur sillon en toute liberté pour faire vivre cette diversité. Languedoc-Roussillon "thinks pink". Qu'on se le dise ! 

Florence Guilhem •

ELLE a dit 

Elisabeth Gabay, Master of Wine 

Elisabeth Gabay

© Crédit photo : Florence Guilhem

"Le marché mondial du rosé, ça cartonne. C'est le marché le plus vendeur, mais, pourtant, les prix sont assez bas, sauf pour les vins rosés des Côtes de Provence. Dans ce marché, en tant que productrice et consommatrice, la France occupe la première place. La particularité du bassin viticole du Languedoc-Roussillon est qu'il est le premier producteur de rosés, notamment en raison des volumes de l'IGP Pays d'Oc. Quasiment tous les producteurs font des rosés en IGP Pays d'Oc, une indication géographique qui se caractérise par sa liberté d'expression. Les rosés produits dans cette région se singularisent par une grande diversité, tant dans leurs cépages, leurs sols et les différentes altitudes. Et, en matière de prospective, les opportunités existent, car les cépages sont là, les terroirs aussi, de même que le marché. Certains n'y croient pas, craignant que le marché du rosé ne soit un feu de paille. Les chiffres démontrent le contraire."

Florence Guilhem •

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