Les amateurs de révélations explosives en seront pour leurs frais : à 34 ans, Ludovic Vançon - qui succédera en janvier 2023 à Matthias Winner, aux manettes du Domaine d'Éole - ne prévoit pas de grands chambardements. Rien ne le justifierait d'ailleurs : le domaine viticole d'Eygalières, racheté fin 2017 par Marc Rebouah, a trouvé sa vitesse de croisière depuis 1996 et, surtout, sa voie vert(ueuse) en matière de pratiques agricoles. Éole fait de ce point de vue figure de pionnier : consécutivement à son rachat en 1993 par Pascal Moncelli, il a entamé sa conversion vers l'agriculture biologique en 1993, sous la houlette de Matthias Winner, œnologue-gérant du domaine. Celui-ci ne compte à l'époque que 17 hectares de vignes (contre 36 ha aujourd'hui) et produit environ 500 hectolitres de vins, dont deux rouges (Cuvée Léa et Éole rouge) et un rosé.

Christian Raimont, actuel propriétaire - qui l'acquiert en 1996 - lui donne l'impulsion et sa physionomie d'aujourd'hui, à marche forcée : les trois-quarts du vignoble sont arrachés puis replantés, et 17 ha de nouvelles parcelles sont acquises, en une trentaine d'années. "Matthias Winner a également opté pour une diminution de la part de carignan, l'augmentation de celle de syrah", précise Ludovic Vançon. "Il a également pris le parti de ne planter que des cépages autochtones, ou a minima méridionaux, comme le grenache noir." À défaut de cabernet, on trouve en revanche du caladoc, choisi pour sa résistance au stress hydrique et mis en culture sur un hectare. Si la part du rosé dans la production globale a logiquement progressé au fil des années, elle est toutefois restée raisonnable : "Elle ne représente que 50 %, contre 30 à 35 % pour le rouge". Concernant le blanc, les plantations de parcelles de rolle/vermentino, roussanne et grenache blanc ont été réalisées en 2001 et 2002 : un choix judicieux de son prédécesseur, dont le futur directeur se félicite aujourd'hui.

Une cuvée rosée sans sulfites ajoutés

"La demande est importante et ne cesse de croître. Nous sommes dans une région où on produit de très beaux vins blancs, cela commence enfin à se savoir." Pour accompagner la croissance du vignoble, lors des 30 dernières années, il a aussi fallu pousser les murs de la cave, afin d'accueillir les 1 200 à 1 500 hl produits annuellement : deux extensions ont été construites successivement pour abriter le chai à barriques, en 2003, et la cuverie inox pour les rosés et les blancs, 13 ans plus tard. Des cuves ovoïdes ont aussi fait leur apparition depuis 2018, consécutivement à l'arrivée de Ludovic Vançon.

"À mon arrivée au domaine, Mathias Wimmer m'avait interrogé à l'époque sur mes envies et sur les nouveautés que je souhaitais apporter au domaine. J'ai proposé une cuvée rosée sans sulfites ajoutés, sans trop réfléchir", s'amuse, avec le recul, l'œnologue et futur directeur. "Passer de l'idée à la réalisation a nécessité pas mal expérimentations avant de trouver les bons réglages : les marges de manœuvre sont plus réduites qu'avec une méthode de vinification traditionnelle, et la moindre erreur ne pardonne pas" reconnaît Ludovic Vançon, qui a renouvelé l'essai en rouge, "avec une vinification en œuf béton et un travail méticuleux sur lies", comme le rosé.

L'export et la grande distribution en ligne de mire

La cuvée de vin naturel - ou plutôt sans "sulfites ajoutés" comme il aime à le préciser - n'a certes pas vocation à devenir le porte-étendard du domaine avec ses 20 hl produits annuellement. "Mais elle a trouvé sa clientèle et c'est un produit que je souhaite développer. Il représente bien la philosophie du domaine." Le développement du volet commercial est d'ailleurs un des chantiers auquel le trentenaire s'attelle d'ores et déjà : "Nous avons eu une bonne récolte 2022, plusieurs nouvelles parcelles sont aussi entrées en production... Cela nous oblige à trouver de nouveaux marchés et de nouveaux clients". Parmi les axes de développement à l'étude figurent les marchés export et la grande distribution (GD).

Concernant le premier, Ludovic Vançon vise "l'Asie et le Royaume-Uni, deux territoires où nous ne sommes pas présents et vers lesquels nous prévoyons de nous développer rapidement". Très présent chez les cavistes - leur liste figure d'ailleurs sur le site internet du domaine -, le futur directeur souhaiterait développer une cuvée spécifique pour la GD, avec des objectifs précis : "Nous visons des enseignes premium, comme Monoprix, Le Bon Marché ou les Galeries Lafayette par exemple".

Concernant le volet environnemental, un domaine dans lequel Éole est déjà très en pointe, la marge de progression semble plus étroite : conduite en bio, l'exploitation a notamment installé des nichoirs et des haies pour favoriser la biodiversité, planté des parcelles d'oliviers en bordure des vignes... "On peut encore faire mieux, notamment en termes de lutte intégrée contre certains ravageurs, pour lesquels on n'a pas encore identifié de prédateurs vraiment efficaces. Il n'existe pas de solutions globales, mais plutôt des ajustements à trouver" estime Ludovic Vançon, dont l'ambition est "l'intégration du domaine dans son écosystème". 

Avant de décrocher son diplôme d'œnologue et d'ingénieur agronome à SupAgro Montpellier en 2017, Ludovic Vançon a dirigé un parc naturel, dans la région parisienne, à l'issue de ses études d'écologue. C'est dans ce cadre qu'il s'intéresse à la viticulture, à travers la relance d'une parcelle de vigne située sur les bords de la Marne, un territoire qui fournissait une partie du vin consommé par le passé à Paris. Lui qui ne buvait pas d'alcool jusqu'à ses 24 ans, se passionne dès lors pour "la viticulture durable", démissionne de son poste en région parisienne et décide de reprendre des études, en œnologie.

36 ha de vignes en production

10 cépages méridionaux

35 hl/ha de rendement revendiqué

1 200 à 1 500 hl produits annuellement

50 % de rosé, 30 à 35 % de rouge et 15 à 20 % de blanc