Mais où est le patron ? Cette phrase-là, aucune agricultrice n'y a échappé quand un visiteur s'est rendu sur sa ferme. Ben quoi ? Le patron, c'est Cécile Berthier, à la tête d'un élevage caprin avec son associée, mais aussi Florie Salanie, l'apicultrice, Guilaine Trossat et Fanny Demarque, bergères et éleveuses de brebis, et Marion Boissier, maraîchère.

Ces cinq paysannes, originaires d'Ardèche et du Briançonnais, surnommées, 'Les paysannes en polaire', ont décidé de souffler le chaud pour dénoncer les clichés machistes et sexistes présents dans le monde agricole au travers d'une bande dessinée, "Il est où le patron ? Chroniques de paysannes".

"Cela nous tenait vraiment à cœur de parler du sexisme dans le monde agricole, de montrer l'envers du décor, mais aussi ce que l'on aime dans nos métiers respectifs. On voulait que cette BD soit faite par et pour les femmes", confiait Cécile Berthier, lors d'une rencontre et dédicace autour de la BD qu'elles ont créée, avec la collaboration de la dessinatrice Maud Bénézit. 

Faire évoluer les mentalités

Entre la compilation de leurs témoignages et ceux d'autres paysannes, la sélection, puis le travail de la dessinatrice, il a fallu trois ans et demi avant que la BD ne soit portée sur les fonts baptismaux, comprenez mise sous presse. "Même si nous avons collecté de nombreux témoignages, cela reste notre point de vue, car le collectif, c'est nous", précise l'éleveuse. Publié à 2 000 exemplaires, en mai 2021 - l'éditeur n'y croyant pas trop - l'ouvrage a été en rupture de stock quelques semaines après sa sortie. Rééditée depuis, la BD continue son bout de chemin avec, aujourd'hui, plus de 20 000 exemplaires vendus, et atteignant un public toujours plus large.

La clé du succès est peut-être à chercher du côté de ces histoires réellement vécues. "Nos trois personnages - Joséphine, Coline et Anouk -  sont fictifs, mais tout ce qui est raconté, c'est la vraie vie, et les histoires racontées sont redondantes. Rares sont les paysannes à ne pas les avoir vécues", relève Cécile Berthier. Que ce soit dans leurs échanges avec les Chambres d'agriculture, dans leurs exploitations, dans les syndicats, sur les marchés, ou encore avec les voisins, les remarques désobligeantes sont légion, et les stéréotypes ont la vie dure, savent les cinq acolytes, pour les avoir subis personnellement.

Si leur plume est acérée, et les violences subies par les femmes, paysannes ou du monde rural, dénoncées sans y mettre une quelconque forme, l'humour et la dérision sont aussi leurs armes. "C'était important pour nous de faire entendre nos voix et de redonner de la visibilité à toutes les paysannes, car, dans le monde agricole, les femmes sont invisibles. Dire qu'une femme n'a pas sa place dans l'agriculture n'est plus acceptable de nos jours. Par contre, la place qu'on peut occuper est encore choisie pour nous, c'est-à-dire que ce sera plutôt pour seconder un agriculteur, pour apporter de la communication et de la douceur dans de grosses fermes où il n'y a que des hommes. C'est non pour nous. Aussi avec cette BD espère-t-on faire évoluer les mentalités, sans prétendre pour autant être des modèles. Nous aussi, et en tant que féministes, nous avons nos contradictions", conclut-elle. Mais toutes ont décidé de se battre, car leur métier, elles y croient.