Aude
Près de 50 ans après la fusillade de Montredon- des-Corbières, un documentaire bouleversant exhume la mémoire d'un drame. Diffusé au théâtre de Narbonne, le 15 octobre dernier, le documentaire 'Les raisins du désespoir' redonne voix à ceux qui ont vécu cette guerre du vin, entre dignité paysanne et silence de l'État.
"C'était un hommage, mais aussi une explication nécessaire, pour que l'histoire, dans son côté tragique, ne se répète pas", partagent Sandrine Mercier et Juan Hidalgo, co-réalisateurs du documentaire Les raisins du désespoir.
© Crédit photo : 13Prods
Salle comble mercredi 15 octobre au théâtre de Narbonne pour la diffusion du documentaire Les raisins du désespoir, titre qui rappelle sans mal le roman de Steinbeck. "C'était très important pour nous de parler d'un événement passé, mais qui résonne encore dans le présent", explique la réalisatrice Sandrine Mercier auprès de son co-réalisateur Juan Hidalgo. Produit par 13 Productions et France Télévisions, le documentaire de 52 mi- nutes mêle archives télévisées, témoignages d'époque et paroles d'acteurs du mouvement viticole.
Il restitue, avec une sobriété tendue, la montée d'une révolte sociale dans le Midi des années 1970, écrasé par la crise, la surproduction et la concurrence étrangère. Mais c'est aussi une histoire de fierté et de transmission. Car derrière les fusils et les barricades, il y avait surtout des hommes et des femmes décidés à vivre au pays ou comme on dit ici, "Volèm viure Al Païs".
Dans les années 1960 et 1970, la viticulture languedocienne s'enfonce dans la crise. L'arrivée massive de vins algériens, puis italiens, fait s'effondrer les prix. Sur le litre de vin payé 2,30 francs, il restait à peine 40 centimes au viticulteur. De cette détresse naît le Comité d'action viticole (Cav), une organisation clandestine qui mêle sabotages, coups de force et actions symboliques. À sa tête, André Cazes, vigneron et militant respecté de tous. Dans les rangs, d'anciens combattants de la guerre d'Algérie. Des hommes qui savent manier les armes. "C'était la prolongation du syndicalisme", raconte Jacques Serres, vigneron et ancien militant. "Quand les négociations échouaient, on allait sur le terrain." Opérations commando, barrages, destructions de cuves... jusqu'à ce fameux mois de mars 1976, où la colère vire à la tragédie.
Quelques jours avant la fusillade, les vignerons avaient mis à sac la cave Ramel à Meximieux dans l'Ain, accusée d'importer du vin trafiqué. Deux manifestants sont arrêtés. Le Cav exige leur libération et menace de tout casser. À Narbonne, les représailles commencent et à Paris, la crise politique s'envenime. Le président Valéry Giscard d'Estaing réunit son Premier ministre Jacques Chirac et le ministre de l'Intérieur Michel Poniatowski. L'un prône l'apaisement, l'autre la fermeté. "On va les mater", aurait lâché le tenant de la place Beauvau. Ce dernier est décrit comme un "provocateur" ayant cherché l'affrontement pour mettre fin au mouvement, créant les conditions de la dégénérescence de la situation.
Pour certains témoins, le piège était tendu, le gouvernement de l'époque n'a pas choisi l'apaisement ni même la discussion. Selon Jacques Serres, "il fallait qu'il y ait des morts des deux côtés pour que l'événement prenne une ampleur nationale". La version officielle parlera d'une riposte légitime des CRS. Le doute, lui, n'a jamais cessé de hanter les Corbières.
Dans les jours qui suivent les funérailles d'Émile Pouytès, viticulteur, et Joël Le Goff, commandant de CRS, tués lors de la manifestation, André Cazes, chef du Cav, devient l'ennemi public numéro un et se réfugie dans son domaine, protégé par des vignerons. "Pendant deux ans, des camarades venaient chaque nuit garder la maison", raconte sa fille, Sylvie Cazes. Il faudra attendre l'élection de François Mitterrand, en 1981, pour qu'une loi d'amnistie referme, sans l'effacer, la plaie de Montredon.
"C'était un hommage, mais aussi une explication nécessaire, pour que l'histoire, dans son côté tragique, ne se répète pas", partagent Sandrine Mercier et Juan Hidalgo. Car Les Raisins du désespoir ne parle pas seulement d'un drame du passé. Il interroge ce lien fragile entre la terre et les hommes. Et lorsque, en 2024, des pneus ont de nouveau brûlé devant les préfectures, et que le sigle'Cav' est réapparu sur les murs, le film prend une résonance saisissante.
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