Dans le contexte actuel d'agribashing et de dénigrement que subit le monde agricole, le documentaire de Karine Le Marchand apporte un éclairage bienvenu sur la réalité de ceux qui en sont les acteurs. Plutôt que de s'appuyer sur des experts pour mettre en évidence les contre-vérités, énoncées au quotidien - et souvent par méconnaissance du sujet - par certains médias généralistes, l'animatrice de M6 a choisi de s'appuyer sur des témoignages de membres de familles d'agriculteurs.

Ces derniers racontent l'évolution du métier depuis l'après-guerre et la 'Révolution verte', les difficultés mais aussi les succès rencontrés, bien loin des stéréotypes. Karine Le Marchand est allée pour cela à la rencontre des grands-parents, des enfants et des petits-enfants de dynasties d'agriculteurs et agricultrices dans toute la France. Contrairement aux émissions d'enquête, bien souvent menées à charge contre le monde agricole, le ton est ici bienveillant - même si on n'échappe pas à quelques biais, notamment sur la question des intrants de synthèse ou encore des images d'archives erronées où l'on confond tomate de bouche et tomate d'industrie - et chacune des personnes interrogées est invitée à raconter son quotidien et aborder des sujets qui fâchent, comme la question de la rémunération, celle de la retraite pour les conjointes collaborateurs, du suicide, de l'endettement ou encore celle des filières en crise, à l'image de l'élevage bovin laitier.

"Nous ne devons pas oublier"

La présentatrice de 'L'amour est dans le pré' se fait l'avocate, auprès du grand public, d'une profession menacée. "Avant-guerre, le pays comptait plus de deux millions d'exploitations agricoles, et on en compte moins de 400 000 aujourd'hui. Nous avons tous des racines paysannes. Nous ne devons pas oublier que ce sont ces hommes et ces femmes qui nous nourrissent", a expliqué cette dernière, lors d'une projection en avant-première, qui se déroulait au Conseil régional Paca, le 20 novembre dernier, en présence du président de la Région Sud, Renaud Muselier.

Des images d'archives

Au travers d'images d'archives, le grand public découvre la dureté du travail, le rôle essentiel des femmes dans les campagnes, les différentes crises qu'a connues le monde paysan, la mécanisation, les problèmes sanitaires, la mutation du métier, l'introduction des produits phytosanitaires de synthèse...

Le mérite de cette émission est aussi de mettre en avant les réussites, à l'image des Boyer, une famille de maraîchers implantée à Rognonas (Bouches-du-Rhône). Longtemps spécialisé dans la tomate de bouche 'long life', Thierry Boyer a pris le risque d'une diversification avec des variétés anciennes, qui ont permis à l'exploitation et sa marque commerciale, 'Les cailloux', de se développer et de s'ouvrir de nouvelles opportunités sur un marché pourtant hyperconcurrentiel. Son témoignage apporte une note positive, en contrepoint d'autres plus pessimistes, et montre un aspect peu mis en avant dans les reportages : celui de l'incroyable adaptabilité des filières et les solutions mises en place pour se moderniser, évoluer et surmonter les injonctions contradictoires, qui s'ajoutent au fil des générations : produire toujours plus mais mieux ; s'adapter aux normes nationales et européennes ; trouver de nouveaux débouchés com- merciaux, hors des canaux traditionnels...

Autant d'éléments qui bousculent le cliché de l'agriculteur "pollueur" et "arriéré" qu'ont encore certains, par méconnaissance des réalités du métier.

À quand le réel prime time agricole ?

Bien sûr, un tel documentaire ne peut pas faire l'unanimité. Il suffisait de lire les réactions au lendemain de la diffusion du document sur les réseaux sociaux. Bien sûr aussi, Karine Le Marchand mérite de retravailler encore son sujet, car il y a bien eu un ministre de l'Agriculture paysan, et des erreurs ont été notées par de nombreux agriculteurs qui visionnaient le document le 27 novembre dernier.

On peut également regretter une tablée de'citadins' sans présence d'agriculteurs dans la suite du débat. Mais on part de tellement loin que tout ce qui va dans le sens de la pédagogie autour de la réalité du métier et du quotidien des agriculteurs est bon à prendre. Au même titre que le travail de fond réalisé par l'Association des #FranceAgritwittos bien évidemment...