À Domazan, dans le quartier de l'Espinassière, s'étalait une vingtaine d'hectares de vignes, exploitée par un vigneron pour de la vente en vrac. Lorsqu'en août 2023 Matthieu Bècle et Matthieu Faurie-Grépon rachètent la cave et les vignes, l'histoire prend un nouveau tournant, pour eux comme pour le vignoble.

Tous deux dans le Luberon il y a une vingtaine d'années, ils sont d'abord devenus amis. Amateurs de bons vins, ils ont eu d'autres vies, avant d'en arriver à ce nouveau projet. "J'ai toujours été dans ce milieu, en tant que maître de chai et ouvrier viticole dans mes précédentes fonctions", explique Matthieu Faurie-Grépon, le regard vif derrière ses lunettes. Pour lui, créer un domaine a toujours fait partie de l'équation dans sa vie professionnelle, mais dans la réalisation, "pas si simple de se lancer", il le reconnaît volontiers.

Son compère est quant à lui un peu plus éloigné du milieu viticole, quoi que l'agriculture ne lui est pas inconnue : "De mon côté, comme celui de ma femme, il y a des agriculteurs, on baignait déjà dans ce milieu." À l'époque, il travaillait pour une coopérative agricole, puis dans un bureau d'études qui l'a amené à partir pour la région lyonnaise. En fondant une famille et après quelques années en ville, comment envisager l'avenir pour articuler vie professionnelle et familiale dans un environnement plus proche de ce Sud qu'il aime tant ? C'est à ce moment qu'il envoie un mail à son ami. Un courriel qui disait peu ou prou : "J'ai envie de changer de vie, et si on montait un vignoble" ?

Une aventure bien réfléchie

Comment ? Pour proposer quoi ? Et puis, comment transformer cette amitié en une relation de travail durable ? Les questions sont nombreuses pour les Matthieu. "La réflexion commence en novembre 2020 jusqu'à notre installation à Domazan en août 2023. Cela a été pas mal de dépenses énergétiques et au final, l'installation n'est qu'un début", retracent-ils. D'autant que les deux vignerons se sont immédiatement lancés dans leur première vendange. La priorité allait aux raisins, mais heureusement, le domaine bénéficiait déjà de vignes productives et entretenues, bien que parfois vieillissantes, ainsi que d'une cave parfaitement fonctionnelle.

"L'avantage, c'est qu'elle était dimensionnée pour les 30 hectares de l'ancien propriétaire qui ne vinifiait que pour le vrac", souligne Matthieu Faurie-Grépon. Divisée en deux parties, celle-ci est constituée de plusieurs cuves béton, dont une partie drapée de froid pour la vinification, et l'autre pour le stockage. Pour les deux hommes qui visent une production destinée à un tiers pour le marché bouteille, et deux tiers pour le vrac, la répartition était donc parfaitement envisageable.

La première vinification faite, il a fallu "se poser à réfléchir sur nos gammes, comment adapter notre production à la bouteille, mais aussi sur le matériel végétal". Pas question de se mettre des œillères, ils se sont donc entourés en conséquence "afin de prendre nos décisions en connaissance de cause". Suivis par une technicienne et la Chambre d'agriculture, ils peuvent bénéficier des conseils du vigneron avec qui ils ont leur machine à vendanger en co-propriété, et qui les a présentés à ceux du secteur lors de la prospection flavescence dorée. "Nous sommes surpris dans le bon sens de nos premiers échanges, nous nous sentons bien accueillis. Peut-être aussi sont-ils rassurés de voir deux jeunes qui reprennent le domaine pour en faire quelque chose et non pas une grosse machine qui vient asseoir un peu plus sa suprématie ?"

Bien sûr, il a fallu réapprendre certains aspects du métier, et aller plus loin. Quand on n'est qu'à deux, il faut savoir répondre à ses propres interrogations et s'adapter deux fois plus !

Construire un domaine à leur image

Par dessus tout, Matthieu et Matthieu n'avaient qu'une envie : non pas de se différencier, mais bien de s'épanouir dans un terroir bien particulier. Situées dans l'aire géographique des Côtes du Rhône villages Signargues, les vignes des deux associés s'épanouissent sur un sol de galets roulés assez sableux. "En dessous, il y a une couche argileuse assez épaisse avec des racines profondes qui vont chercher l'eau, et on a vu à quel point c'était bénéfique en commençant sur une année très sèche comme en 2023", précisent-ils. D'autant plus que les parcelles ne sont pas irriguées au Domaine Lespina.

Jamais à court d'idées, ils se sont choisi une identité inspirée du lieu. Lespina, pour raccourcir et faciliter la prononciation de l'Espinassière, nom du quartier - mais qui donnera son nom à la cuvée rouge traditionnelle du domaine. Le logo a quant à lui été imaginé en partant des ouvertures en forme d'œil de bœuf sur les murs de la cave, et se décline en plusieurs couleurs selon la cuvée. La gamme compte effectivement trois autres bouteilles : 'Ostara' orienté grenache, 'Oculus' à l'inverse plutôt syrah, et 'Pinea', un blanc issu des 0,8 hectare de vieilles vignes du domaine. Les étiquettes sont rondes, fait assez rare pour être souligné. Si la réflexion a été menée avec des spécialistes de la communication, les deux hommes sont satisfaits : "Cette histoire s'est créée de toute pièce, mais de façon assez naturelle. Même sans l'aspect générationnel, nous avons tellement à raconter."

Alors ils racontent, et rencontrent, s'initiant aux réjouissances des salons locaux qui permettent aux consommateurs de découvrir ce nouveau domaine de l'appellation Côtes du Rhône villages Signargues autant que pour les Matthieu d'en apprendre davantage sur leurs clients. Déjà emballés, ces derniers ont eux aussi réservé un accueil que les nouveaux vignerons ont été heureux de découvrir. Ne reste plus qu'à avancer vers les perspectives d'avenir. En augmentant le potentiel bouteilles et ouvrant un jour un caveau de dégustation peut-être ? En attendant, les interactions se font dans l'authenticité d'une cave, et sous le soleil de Domazan...