En bonne travailleuse, Annabelle Decoursière s'est installée au hameau du Coural, sur la commune d'Avène, le 1er mai 2018. Elle n'était pourtant pas partie pour devenir maraîchère. À 17 ans, dernière d'une fratrie de quatre, elle quitte le nid familial pour la capitale, où elle passe son brevet professionnel de coiffure. Au bout de deux ans, après quelques désillusions, elle est de retour pour une forme d'année sabbatique, lui permettant de passer son permis et son Bafa (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur), puis devient directrice adjointe d'un centre de loisirs à Octon.

"Au centre, certaines choses ne se passaient pas toujours bien, mais c'est surtout voir l'alimentation des enfants qui me chagrinait", se souvient-elle. Pas bon, pas de saison... Des idées commencent à poindre dans son imagination. Qui plus est, la mairie met à disposition du centre une petite parcelle : "Ce n'était pas grand chose, de quoi planter des tomates cerises et les ramener fièrement à la maison pour les enfants. Je ne sais pas si ça a semé des graines dans les esprits des plus petits, mais en tout cas, ça a été le cas dans le mien".

Après avoir en premier lieu envisagé une ferme pédagogique, elle se fait vite rattraper par l'ADN familial. "Ma mère est née ici, elle a toujours énormément cuisiné les légumes, préparé de nombreux bocaux de confitures. Les plats préparés n'ont jamais eu leur place chez nous", explique-t-elle. C'est donc finalement pour la formation 'Maraîchage bio' du CFPPA de Béziers qu'elle penche. L'aventure est lancée.

Contrer la routine par la diversification

Annabelle Decoursière a commencé avec des petites parcelles avant d'avoir pu racheter celle d'un demi-hectare situé sur le hameau de Truscas. Celle-ci est à peu près plate, irrigable et d'un seul tenant, facilitant le travail bien que bénéficiant d'un accès assez compliqué. "Ici historiquement c'est le pays de la fraise, ce terrain appartenait donc à un fraisiculteur. Lorsqu'il est décédé, il est revenu à sa sœur qui a pris contact avec moi pour savoir ce que je faisais et si j'étais intéressée", retrace l'agricultrice. Une proposition bien tombée qui lui permet de passer à une superficie d'un hectare pour produire des tomates, poivrons, choux, potimarrons et autres légumes, ainsi que des petits fruits rouges tels que les framboises, groseilles ou fraises, évidemment.

Une surface relativement petite d'un point de vue extérieur, mais qui lui convient : "Si je m'agrandis, je vais juste devoir produire plus. Je préfère me diversifier". Ce fonctionnement lui permet de travailler en vente directe, au travers sa boutique - située au cœur du hameau du Coural - où elle commercialise sa production légumière, mais aussi des bocaux de confitures ou encore des sirops qu'elle transforme elle-même dans le laboratoire au-dessus du magasin.

Elle a également fait une place à la production d'autres agriculteurs, qu'elle ne pourrait produire elle-même, dans l'objectif de mieux fournir les visiteurs de passage. "Pas possible de fonctionner comme un supermarché en produisant seule sur de petites surfaces. L'idée était d'apporter un service constructif aux consommateurs avec un produit qui reste local, bien produit et de saison. Et puis c'est une façon d'amener une diversité pour les curistes : quand ils débarquent à Avène pendant trois semaines, les premiers supermarchés sont à Lodève et Bédarieux, donc autant éviter qu'ils fassent 30 à 45 minutes de route pour des produits frais. Au final, c'est quelque chose qui bénéficie également aux locaux", développe l'agricultrice. Annabelle participe par ailleurs au marché d'Avène le mercredi matin, et a conservé le système des paniers, mis en place pendant le Covid, que les clients peuvent retirer lorsqu'elle livre sur Ceilhes et au Bousquet-d'Orb.

Combattre l'idée reçue de "l'agriculteur beauf"

Le plus gros partenariat que la maraîchère est parvenue à développer reste celui avec Pierre Fabre, le groupe pharmaceutique et dermo-cosmétique qui détient les eaux thermales d'Avène. "Ils ont un hôtel-restaurant, ainsi qu'un deuxième établissement que je fournis et avec qui j'organise régulièrement des dégustations", commence-t-elle. Depuis trois ou quatre ans, le partenariat a pris une autre dimension avec l'organisation de séminaires pour des prescripteurs de tous pays, ainsi que l'accueil du milieu de l'influence. Miss France, instagrameurs, personnalités publiques... Pour eux, elle prépare toute une gamme de dégustations.

"L'image est bonne pour eux, mais j'en joue aussi. Aujourd'hui encore les agriculteurs passent pour des beaufs, mais la réalité c'est qu'on peut faire ce qu'on veut en ouvrant le champ des possibles qui convient à chacun. Les jeunes ne me regardent pas de la même façon quand j'interviens dans les établissements et que je leur dis qu'à Avène, j'ai rencontré Iris Mittenaere ou Léna Situations", sourit-elle. Alors oui, il faut du travail pour créer une agriculture et un mode à son image, mais pour rien au monde elle ne reviendrait en arrière.

Elle a d'ailleurs fait de la vente directe et de la promotion du métier ses chevaux de bataille, d'autant qu'elle est actuellement secrétaire générale des Jeunes agriculteurs de l'Hérault. Avec son engagement, elle prône la force du réseau, et encourage à découvrir l'agriculture sous toutes ses formes. Même auprès des jumeaux de 14 ans de son grand frère, éleveur de canards dans les Landes, et dont un souhaiterait reprendre l'exploitation, elle dit d'aller voir ailleurs : "C'est en partant qu'on a le plus à apporter à l'exploitation". Une vision qui a de quoi faire sortir des carcans. C'est du moins là une part des'Rêves d'Annabelle' qui, à en croire toutes les idées qui lui viennent, n'ont pas fini de se réaliser, encore et encore ! 

1 hectare réparti entre le Coural et Truscas (où la plus grande parcelle fait 1/2 hectare)

2 années d'existence pour sa boutique

Environ 20 parfums de confitures parmi les produits qu'elle fabrique dans son laboratoire de transformation

2 lieux de rendez-vous pour la distribution de ses paniers de produits

1 marché, à Avène le mercredi